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Full text of "Voyage a la Nouvelle-Zelande"

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LE TOUR DU MONDE. 



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X 










Le havre d' Auckland. — Dessin de Lancelot d'apres M. F. de Bochstetter. 



VOYAGE A LA NOUVELLE-ZELANjDE, 

PAR M. FERDINAND DE HOGHSTETTER. 



11858-1860 — TRADUCTION INEDITE. 



DESSINS D APB.ES DES DOCUMENTS ORIOINAUX. 



I 

La Nouvelle-Z&ande. — La Novara et le havre d' Auckland '. 



Lors du passage dela fregate autrichienne laNovara 2 
a. la Nouvelle-Zelande, ou elle relacha vers la fin de l'an- 
nee 1858 pendant le cours de son voyage autour du 
monde, un membre de la commission scientifique que 
portait ce navire, M. Ferdinand de Hochstetter f'ut 
charge par le gouvernement colonial d'une mission 
qui lui permit de sojourner neuf mois dans les lies 

1 . Situe entre le trente-quatrieme et le quarante-huitieme paral- 
lel sud, entre le cent soixante-quatrieme et le cent soixante-sei- 
zieme de longitude orientale, l'archipel de la Nouvelle-Zelande 
s'eleve, dans l'ocean Pacifique, aux antipodes memes d'un arc de 
cercle qui, surgissant du sein de l'Atlantique a une cenlaine de 
lieues droit a 1'ouest de Brest, irait aboutir au Maroc dans les en- 
virons de Fez. II consiste en deux lies principals, separtes par le 
d<5troit de Cook; au nord Ika-Na-Mawi ou Vile du Poisson, et au 

XJ. — 279' LIV. 



neo-zelandaises. Avec ^automation du contre-ami- 
ral de Wiillerstorf, qui commandait 1'exp^dition, il 
laissa la fregate poursuivre sa route vers l'Europe, et 
tout en s'acquittant des recherches zoologiques dont il 
etait charge, le savant professeur de l'lnstitut de Vienne 
se livra a une etude approfondie de la Nouvelle-Zelande 
sous le rapport geographique, physique, botanique, his- 

sud Tawai-Ponamou ou la terre du Jade-Vert, noms indigenes 
consacres par les traditions mythiquesdes peuples polynesiens. Au 
sud de la grande lie meridionale, l'ile Stewart, qui n'en est 
qu'uue annexe, compte ceper.dant encore pres de cinq cents kilo- 
metres carres de superficie, et recoit en plein sur ses apres pro- 
montoires les \ents et les Hots du pole antarctique. F. de L. 

2. Voyez, sur le voyage de la Ncvara autour du monde, le t. I 
du Tour du Monde, p. 34 et 66. 

18 



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LE TOUR DU MONDF. 



torique, politique, doscriptif et memelitteraire. II a pu- 
blie recemment le resultat de ses travaux dans un 
magnifique volume edite a Stuttgart. C'est de cet ou- 
trage que nous avons tire la plus grande partie de la 
relation gu'on va lire , 

« ....Apres un sejour de plusieurs semaines sur les' 
c6tes de l'Australie, la fregate la Novara quitta le port 
de Sydney le 7 decembre 1858, et se dirigea vers la 
Nouvelle-Zelande. Le 20 du meme mois, nous nous 
trouvions devant l'entree du golfe Hauraki, dont une des 
baies, situees au sud-ouest, forme le port d'Auokland. 
Les iles de la grande et de la petite Barriere, qui dans 
la langue des indigenes se nomment Ota et Houturu, 
se dressaient devant nous avec leurs pics d'environ 
deux mille pieds. La journee etait magnifique, et nous 
nous avancames lentement lelongdela cote orientalede 
la grande ile. 

o Longue d'environ vingt-cinq milles anglais, cette ile 
se compose d'une chaine de montagnes qui forment des 
cotes escarpdes, aux sommets tanlot arrondis, tantot en 
pics aigus. Le point le plus eleve, qui se trouve dans 
le milieu de l'tle, et qui, du premier gouverneur de 
la Nouvelle-Zelande, a ete appele Mont-Hobson, a, 
d' apres les indications des cartes, une elevation de 
deux mille trois cent trente pieds anglais au-dessus du 
niveau de la mer. Des roches dentelees d'une hauteur 
remarquable, appelees les Aiguilles, forment l'extremite 
septentrionale de la cliaine qui se termine au sud par le 
rocher arrondi du cap Barriere. Si la cote occidentale 
de File possede de nombreuses baies, profondement de- 
couples , pourvues d'excellents ancrages , sur les rives 
desquels, indigenes et Europeans se sont etablis, la cote 
orientale n'offre que des rocs nus et inhabites, oil Ton ne 
trouve qu'une seule grande baie protegee par l'ile Aride, 
rocher d'apparence inaccessible, completement digne 
de son nom qu'il porte depuis le temps du capitaine 
Cook. Sur la c6te septentrionale de la Grande Barriere, 
il y a des mines de cuivre assez productives, et les forets 
de l'ile doivent renfermer beaucoup de betail sauvage. 

a En avancant nous nous trouvames au milieu d'un 
labyrinthe d'iles et de presqu'iles dont le sol, parseme de 
collines, etait bas et onduleux, sans forets, avec des c6tes 
escarpees qui presentaient des lits de marne et de gra- 
nit regulierement disposes, et avec de petites baies sa- 
blonneuses sur lesquelles s'elevaient ca et la, quelques 
huttes de bois. Devant nous, a l'endroit oil nous aper- 
cevions les groupes epars de maisons qui forment Auck- 
land, on distinguait un grand nombre de petites monta- 
gnes a. c6nes tronques, dont, au premier coup d'oeil, la 
forme trahissait la nature volcanique. Parmi elles, do- 
minant toutes les autres, pareil au conducteur d'un trou- 
peau de monstres marins, se dresse fierement au milieu 
des vagues le mont Rangitoto, dont la hauteur atteint 
neuf cents pieds, et qui est comme la sentinelle avancee 
d'Auckland. 

« Avec ses noires coulees de laves, la forme singuliere 
de son sommet , cette ile volcanique m'offrait un spec- 
tacle assez interessant; mais, je l'avoue franchement, le 



premier aspect de la contree d'Auckland ne repondit 
millement a. l'idee que je m'etais faite de la Nouvelle- 
Zelande. 

« Est-ce la Auckland, me disais-je, la capitale tant 
vantee de la Grande-Bretagne de la mer du Sud ? Oil est la 
Tamisc nco-zekndaise? Oil sont les Geysers et les sour- 
ces de vapeur briilante? Oil sont les cones volcaniques 
dont j'ai lu la description, le Tongariro toujours fu- 
mant, le Ruapahu convert de glaces et de neiges eter- 
nelles, le Taranaki qui monte dans les nuages ; oil sont 
cnfin les Alpes de la Nouvelle-Zelande? Le tableau cree 
par mon imagination etait tout different de celui que 
j'avais sous les yeux. 

<t Les puissantes montagnes coniques me paraissaient 
reellement reduites aux proportions de petits cones sans 
importance de cinq ou six cents pieds. Je savais que cps 
volcans monstrueux et les montagnes de neige de l'ile 
meridionale ne sont pas des fables, mais que leur dis- 
tance de cette cote les place hors de la portee de tout 
ceil humain, et cependant je les cherchais du regard, 
et n'en decouvrant aucune trace, j'eprouvais une vive 
deception. 

« Apres avoir faitpubliquement cet aveu, je puis don- 
ner a. mes amis d'Auckland, l'assurance qu'actuellement 
la Nouvelle-Zelande reste gravee en traits brillants dans 
mon souvenir; tout ce que j'avais attendu et imagine 
d'abord a ete depasse de beaucoup , et s'il m' etait donne 
une seconde fois dans ma vie de jouir de ce spectacle et 
de saluer encore une fois le Rangitoto, mon coeur tres- 
saillirait d'une joie profonde. 

« Le depart de la Novara pour Tahiti fut fixe au 8 Jan- 
vier. Je me rendis de tres-bonne heure a bord ; apres 
beaucoup de jours orageux, c'etait la premiere matinee 
paisible et sereine ; la fregate avait appareille et n' atten- 
dant que la brise et le retour du jusant. Vers huit heu- 
res, l'ordre de lever l'ancre fut donne ; c'etait pour moi 
l'heure de la separation. II m'etait bien penible d'aban- 
donner un navire qui, depuis deux ans, etait presque 
devenu ma patrie, et dont le sort avait ete lie si etroite- 
ment au mien. La voix me manqua quand je voulus dire 
adieu au digne commodore et au brave commandant, 
quand je pressai la main de mes compagnons de voyage 
avec lesquels j'avais partage la peine et la joie, et qui 
n'etaient pas moins emus que moi-meme. Mais la musi- 
que se fit entendre, l'ancre remonta, les voiles se gonfle- 
rent; je regagnai mon canot, et me dirigeai vers laterre. 

« Avant que j'eusse atteint le rivage, la Novara avait 
deploye toutes ses voiles et, poussee par une legere 
brise, glissait lentement sur le miroir paisible des eaux. 
Je la regardai encore longtemps, bien longtemps, et lui 
souhaitai un bon voyage et un heureux retour dans la 
patrie. Le corps du navire avait deja. disparu derriere la 
c6te septentrionale, et jen'apercevais plus que les mats 
qui le dominaient. Pendant un moment, il reparut tout 
entier au-dessus de la partie basse des terres. Du ri- 
vage, plus d'un souhait fut adresse aux voyageurs par 
les amis qu'ils ne pouvaient plus apercevoir ; mais le 
vent devint de plus en plus vif, et la Novara disparut a 




17a 

tasi jar Erlaid. JUJoguay -liaum. 12 



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LE TOUR DU MONDE. 



l'horizon. G'est alors que je sentis pleinement le chan- 
gement qui s'etait fait dans ma situation. La Novara 
etait une parcelle de la patrie : dans les pays lointains 
et etrangers, elle remplacait mon foyer. Jusqu' alors, ma 
vie de voyage s'etait ^coulee au milieu d'amis, de visa- 
ges connus; rien n'etait change dans nos habitudes, la 
langue que nous parlions dtait la langue maternelle; la 
scene seule variait sans cesse autour de nous ; parmi 
des hommes d'une autre couleur, sur les c&tes les plus 
lointaines, je ne me sentais pas eloigne de la patrie, 
tant que la Novara demeurait dans le port. Maintenant 
il me sembla que je commengais a voyager en pays 
etranger, parmi des hommes etrangers dans le veritable 



sens du mot. J'etais seul, ne pouvant plus compter que 
sur moi-meme. 

II 

La cite d'Auckland, sa banlieue. — Ce que ses habitants 
appellent la campagne. 

Apres le depart de la Novara, j'allai occuper dans ce 
qu'on appelle l'Hohl de Clermont (Prince's street) 
une riante et spacieuse habitation, chez un hote par- 
faitement aimable et bon, M. "Winchy. J'avais pour 
cabinet de travail une vaste piece, et, des fenetres, je 
jouissais d'une vue magnifique sur une grande'partie 
de la ville et du port, qui s'etendaient au-dessous de 




Vue de la ville d'Auckland. — D'apres M. F. de Hochstetter. 



moi, le long de la cote occidentale jusqu'a la chaine 
boisee de Titirangi. 

Reste seul, sans mes collegues de la Novara, dont la 
specialite avait ete la geologie et la botanique, je 
crus devoir profiter des occasions qui s'offriraient pen- 
dant mes voyages pour aj outer a leurs collections com- 
mencees les produits de la Nouvelle-Zelande, et je pris 
aussitot les dispositions convenables pour arriver a, ce 
resultat. Je fis inserer en meme temps dans les feuilles 
publiques un avis par lequel je sollicitais l'envoi d'ob- 
jets d'histoire naturelle de toutes sortes. En cela, je me 
proposals un double but, j'esperais d'abord obtenir par 
ce moyen des indications sur la nature des contrees que 
la brievete de mon sejour ne me permettrait pas de visi- 



ter; puis, j'avais l'intention de poser de cette maniere la 
base d'un museum pour la ville d'Auckland. Je fus si 
bien seconde dans mon projet par la complaisance des 
colons, et mes collections finirent par prendre un tel de- 
veloppement que mon habitation devint insuffisante a les 
contenir. Avec le plus gracieux empressement, le gou- 
verneur mit a ma disposition un petit batiment voisin 
de ma demeure qui devint des lors mon museum, ou, 
comme je le disais en plaisantaut, mon etablissement 
royal zoologique. A l'epoque ou je partis pour revenir 
en Europe, il etait ouvert en tout temps au public, et j'y 
recevais presque continuellement un grand nombre 
d'aimables visiteurs curieux de connaitre mes decou- 
vertes les plus interessantes. 



VOYAGE A LA NOUVELLE-ZELANDE. 



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L'lle septentrionale de la Nouvelle-Zi : lande se com- 
pose de deux parties de dimensions fort in^gales et qui 
sont unies entre elles par un isthme tres-etroit, situe 
sur le 37° de latitude meridionale. Du c6te" oriental de 
l'lle, la mer penetre par le golfe Hauraki dans des 
baies profondement creusees, et l'une de ces nom- 
breuses echancrures s'avance au nord vers la riviere 
Waitemata. L'isthme n'a guere en moyenne que cinq a 
six milles anglais de large et il se retrecit en deux en- 
droits oil des criques profondes fornixes par le Waite- 
mata dans la direction du sud, ne lui laissent plus 
qu'un mille anglais de largeur. Ge sont ces deux points 
qu'a, une epoque reculee les indigenes utilisaient deja 
pour faire franchir l'isthme a leurs canots en les trans- 
portant d'une rive a. l'autre, et c'est la. aussi que les 
colons ont concu l'idee de creuser un canal pour mettre 
encommunicationles deux ports 
opposes. Si, d'un c6te, la riviere 
Waitemata forme sur la cote 
orientale le meilleur port du 
littoral, de l'autre, le bassin du 
Manukau sur la c6te occidentale 
presente incontestablement un 
excellent port, le seul ou les 
grands navires puissent abor- J 
der sans danger. Le capitaine | 
Hobson, dont le coup d'ceil est 5 
si penetrant, a droit sans aucun ^ 
doute a. une grande reconnais- 
sance pour avoir, en 1840, si- 
gnale au gouvernement anglais 
ce point qui relie entre elles les 
deux moities de l'lle septentrio- 
nale comme le lieu le plus fa- 



cane volcanique pres d'Auckland. 



' * 



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■^k— 



vorable pour le siege du gouvernement et la capitale de 
la Nouvelle-Zelande. 

Outre les avantages d'une communication facile et 
sure par mer dans loutes les directions, Auckland se 
relie encore a, un grand nombre de points de l'lle sep- 
tentrionale par des fleuves fort importants, parmi les- 
quels nous citerons dans le nord le Wairoa, qui tra- 
verse de magnifiques forets de Kauris, et le Waiho, ou 
Tamise neo-zelandaise, qui s'etend au loin dans la di- 
rection du sud-est. 

Tels sont les avantages naturels, d'une valeur inap- 
preciable, dont jouit la capitale de la Nouvelle-Zelande, 
a laquelle sa situation a valu le nom de Corinthe du 
sud, et qui, dans sa prosperite rapide, allonge chaque 
jour ses rangees de maisons. En 1860, cette ville 
comptait environ 10 000 habitants, et le nombre de 
ceux qui sont dissemines dans 
le district est a peu pres egal. 
On reconnait l'extreme jeunesse 
de la ville au grand nombre de 
ses constructions en bois, mais 
d'annee en annee s'elevent de 
grands batiments en basaltes 
poreux, extraits des c&nes vol- 
caniques environnants, et de 
jolies maisons en brique qui at- 
tested le progres du gout archi- 
tectural. La circonference de la 
ville est deja tres-vaste ; en com- 
prenant le faubourg Parnell, on 
peut compter un mille et demi 
de diametre de Test a l'ouest, 
et du nord au sud, un mille. 
La colline comprise entre la 



sA-tK 




a C6ne de tuf. — 6 C6ne de lave. — cc Cendres et scories (voy. p. 282). 



Mechanic's Bay a Test, et la Commercial Bay a, l'ouest, 
et qui descend a pic vers le port, du c6te de la pointe 
Britomart, forme le centre de la ville. Sur cette colline 
centrale, et tout pres du port, se trouve le fort Brito- 
mart, puis l'eglise metropolitaine de Saint-Paul, les 
rangees de maisons de Prince's street, la maison du 
gouverneur, la caserne, et enfin le moulin a vent. A 
l'orient, autour de Mechanic's Bay s'etendent les quar- 
ters habites par les autorite"s civiles et militaires, 
les ecclesiastiques et les missionnaires; a l'ouest de 
la Commercial Bay se trouve la ville marchande. La 
situation d'Auckland, avec ses collines s'avancant dans 
la mer, et les anses comprises entre elles, fait penser 
a Sydney etaux profondes decoupures de sa vaste baie. 
Comme le port d'Auckland a tres-peu de profondeur 
du c6te de la ville, on a du construire, sur les points 
de debarquement, des jetees ou piers s'avancant assez 
loin dans la mer : le Commercial pier, long entre autres 



d'un quart de mille, est veritablement l'un des ouvra- 
ges les plus remarquables des colonies oceaniennes, et 
son utilite est incalculable pour le commerce maritime 
d'Auckland. Sur la meme ligne que cette jetee se 
trouve Queen's street, le centre des affaires de la jeune 
capitale. Sous le rapport des relations, pour quiconque 
n'est pas habitue a la vie des grandes villes la so- 
ci^te d'Auckland laisse peu a. desirer. Auckland est 
deja pourvu d'une foule d'etablissements par lesquels 
on peut juger du developpement auquel elle est appe- 
lee. Un jardin botanique et un museum d'histoire natu- 
relle existent deja, et tout recemment, a. cote d'un grand 
nombre d' associations et d'autres etablissements cr^es 
dans un but d'utilite generale, a ete fondee une so- 
ciete des sciences, la New-Zealand royal society. La 
ville possede actuellement douze eglises ou lieux con- 
sacres a, la priere, dont la plupart appartiennent au 
culte reforme, dix ecoles, une chambre de commerce, 



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LE TOUR DU MONDE. 



trois bnques, six feuilles publiques, une societe d'ao- 
climatation, une societe d' agriculture, plusieurs h6pi- 
taux et etablissements de bienfaisance. 

D' Auckland, deux voies principales se dirigent l'une 
vers le nord, et 1' autre vers le sud : la Great south road, 
deja. praticable sur une longueur de trente milles jus- 
qu'a Mangatawhiri sur le Waikato : et la Great north 
road, qui doit conduire parterre jusqu'a la baie des ties. 
Une troisieme route macadamisee se dirige a travers 
1'isthme, a, la petite ville d'Onclmnga situee a. une dis- 
tance de six milles sur les Lords du port Manukau. 

Onchunga etait dans 1'origine une colonie d'officiers 
et de fonctionnaires retraites, qui recevaient du gouver- 
nement une petite habitation et une acre de terrain. 
EUe s'est deja. elevee au rang de ville ; servant de prin- 
cipal place de commerce aux indigenes, elle gagne de 
plus en plus en importance, et grace a son heureux 
site ainsi qu'a. la beaute de ses environs, elle est deve- 
nue le sejour favori d'un grand nomLre de negociants 
qui ont a Auckland le siege de leurs affaires, et demeu- 
rent a. Onchunga ou dans le voisinage. Le long de la 
route, entre les deux villes, on apercoit un grand nom- 
Lre de fermes et de metairies. Le sol n'appartient pas 
cependant aux fermiers seuls, il y a aussi des fonction- 
naires, des marchands, des officiers qui placent leurs 
economies en achats de terrain. De jolies maisons de 
campagne, avec de charmants jardins, sont repandues 
sur 1'isthme, tandis qu'aux carrefours des routes se 
trouvent des localites telles que New-Market, Mount 
Sant-John village, Epsom, Panmure, et plus loin, 
Otahulu et Howik. Aussi ne faut-il pas s'etonner qu'avec 
le temps les terrains soient devenus fort chers a Auc- 
kland. 

Nous comprenons la joie qu'eprouve l'hahitant de 
nos villes peuplees a l'exces quand, fatigue d'une fumee, 
d'une poussiere et d'un tumulte eternels, il se voit en 
pleine campagne, sous le Leau ciel de Dieu. Lorsqu'il 
a pu deroLer aux affaires quelques jours, sa poitrine, 
longtemps comprimee dans l'etroite etude, respire alors 
a pleins poumons, et il parcourt la campagne seul, 
ou en famille, avec d'autant plus de Lonheur que 
bientot l'hiver revient avec son manteau de glace et de 
neige, et le retient prisonnier pendant de longs mois. 
Mais a. Auckland, ou Ton peut dire que la ville elle- 
meme est dans la campagne , ou la douceur du climat, 
sauf quelques jours de pluie , ne prive jamais l'heu- 
reux hahitant de jouir d'un Leau jardin attenant a. sa 
maison, et oil, liLre des entraves de nos hautes et tris- 
tes murailles, l'air pur et plein de lumiere penetre dans 
chaque rue, quand on entend parler d'un gout passionne 
pour la vie de campagne, il est difficile de ne pas sou- 
rire. 

Depuis longtemps je me proposais, avec Julius Haast, 
un compatriote fixe dans le pays ' , de visiter sur la 

1. Un singulier jeu de la destinee 1'avait amene sur les c6tes de 
la Nouvelle-Zelande avec un navire d'emigrants, le jour meme 
precisement ou arrivait la Novara. II voulait etudier le pays et ses 
habitants principalement dans le but de savoira quel point la Nou- 



cote nord du port de Waitemata, ou, comme on dit, 
le North-Shore, un cone volcanique, ainsi qu'un lac 
remarquahle situe dans un ancien cratere, et dont on 
nous avait beaucoup parle. Mais un de nos amis qui 
desirait nous accompagner, nous pria de retarder cette 
excursion. Comme c' etait un cicerone distingue et un 
agreable compagnon , nous attendimes deux jours de 
plus. Nous n'en fumes pas moins etonnes quand il 
nous apprit que sa femme et son fils nous accompa- 
gneraient pour jouir avec nous du plaisir de la campa- 
gne. Dans ce but,.il prit avec lui deux tentes pour 
camper en plein air et mieux savourer le bonheur d'un 
sejour au milieu des champs. Nous trouvames plaisant 
d'entendre parler ainsi un homme, dont nous avions 
souvent admire l'habitation comme l'ideal d'une maison 
de campagne. 

Que Ton se figure, sur l'une des nomLreuses petites 
Laies qui decoupent la cote pres d' Auckland, une jolie 
residence tapissee de fleurs de la passion , de chevre- 
feuille et de Lignonias. En avant de la maison , une 
verandah couverte de magnifiques fuchsias, dont les 
ravissantes clochettes etalent leur pourpre sur le toit 
et les murailles ; tout autour un grand jardin, a l'ex- 
tremite duquel se joue la mer d'un Lieu profond. Des 
Lateaux et des voiles de toutes sortes animent la surface 
des eaux, dont une partie appartient au port de Waite- 
mata, si riche en Laies pittoresques. De ce c6te on aper- 
coit la cote nord et ses petits cones volcaniques que do- 
mine le cdne regulier du Rangitoto, avec ses poinles 
percant l'azur du ciel ; c'est, en un mot , un paysage 
d'un tel attrait, que jamais nous ne pouvions nous lasser 
de l'admirer. Voila. le cadre de la demeure poetique de 
notre ami, et le Leau jardin qui en depend est le type le 
plus parfait des jardins de la Nouvelle-Zelande; c'est 
un coin de terre sur lequel on doit se sentir heureux de 
vivre. La propriete est enclose de haies hautes de six a. 
huit pieds, formees de roses de tous les mois , de fu- 
chsias, de geraniums dont les feuilles et les fleurs for- 
ment un riche tissu aux couleurs variees. Le climat hu- 
mide de la Nouvelle-Zelande conserve a. cette plantureuse 
vegetation, meme au cceur de Yite, toute sa fraicheur. 
Et dans le jardin, quelle diversite d'arbres, d'arbustes et 
de plantes ! Toutes les productions de la zone tempered 
reussissent ici , et pres d'elles on voit une foule de ve- 
getaux dont l'aspect rappelle des contr^es qu'echauffe un 
soleil plus ardent. Le chene allemand aux branches 
noueuses s'eleve a. cote de 1' elegant pin de Norfolk 
(araucaria) ; le gommier bleu d'Australie (eucalyptus), 
a. c6te du saule pleureur et de l'acacia. Au milieu de 
groupes d'orangers et de citronniers, on distingue le 



velle-Zelande serait propre a. une immigration allemande. Nous ne 
tardames pas a nous rencontrer et a, nous lier d'une etroite amitifi, 
II embrassa mes projets et mes espSrances avec une ardeur juve- 
nile. Son attachement a toute epreuve et sa bonne humeur inalte- 
rable ne me manquerent jamais, etson concours ne cessa de m'etre 
des plus utiles jusqu'au moment ou je partis de Nelson. II est reste 
dans le pays, et a la suite de ses explorations entreprises avec une 
perseverance admirable dans les montagnes du sud , il a ete nommfi 
geologue du gouvernement dans la province de Canterbury. 



VOYAGE A LA NOUVELLE-ZELANDE. 



279 



bananier de l'lnde, le palmier-daltier de l'Afrique du 
Nord, le bois-trompette avec ses grandes fleurs, le gre- 
nadier, le myrte et le liguier. Des jasmins, des bigno- 
nias et des roses , des heliotropes, des coronilles, des 
camelias couvrent les plates-bandes d'un gracieux 
manteau de lleurs et de verdure, tandis que, sur le vert 
gazon, l'agave de l'Amerique du sud etend ses orgueil- 
leuses fleurs au milieu d'un vigoureux feuillage. On 
s'egare avec delices parmi ces merveilles de couleurs, 
d' ombres et de parfums. Mais, pour notre ami comme 
pour tous ses concitoyens, tout cela n'etait pas la cam- 
pagne, et, montant dans un canot conduit par deux 
Maoris, nous nous rendimes a. la cote nord, qui est a, 
une heure de distance. 

Nous debarquames sur une rive basse, parsemee de 
coquillages, et les Maoris eurent bient6t dresse les 
deux tentes sous lesquelles nous nous etablimes comme 
chez nous. La plus grande , destinee a, notre h6te et 
a sa famille, se'rvait en meme temps de salle a, manger 
commune ; la seconde nous etait reservee pour y passer 
la nuit. Les tentes etaient si pres du rivage, qu'au mo- 
ment du flux les vagues arrivaient presque jusqu'a elles. 
G' etait une journee sereine , dont un vent du sud-ouest 
adoucissait agreablement la chaleur. 

La localite sur laquelle nous nous trouvions, promet 
sans doute d'etre un lieu de plaisance pour les habi- 
tants d' Auckland, mais jusqu'a present elle n'a guere 
l'aspect d'une residence d'ete fashionable. Gependant, 
comme je l'appris, le gouverneur lui-merne ne de- 
daigne pas de passer ici chaque annee, avec sa fa- 
mille, quelques semaines pendant le cceur de fete, et, 
comme nous, il campe sous une tente. En dehors des 
petites huttes de bois de quelques colons et de la 
maison du pilote, il n'y avait aucun abri sur le 
North-Shore. Mais aux yeux de beaucoup d'habi- 
tants d' Auckland, c'est une diversion agreable que 
d'echanger , pendant un court espace de temps , le con- 
futable d'une maison pour la vie simple et rude de la 
tente. 

En suivant la cote, nous arrivames a, un echafaudage 
long d' environ trente pieds. Nos nerfs olfactifs nous en 
firent connaitre, a, une distance considerable, la desti- 
nation. Une longue file de requins et de poissons de di- 
verses sortes etait suspendue a. cette construction pour 
sdcher, a. l'aide du vent qui les agitait dans tous les 
sens, promettant ainsi pour l'hiver, aux indigenes, des 
mets delicats et d'un « haut gout. » Des pores et des 
chiens s'agitaient a. l'entour, et a. peu de distance se 
trouvaient quelques huttes maories. 

Les vieillards, assis devant la porte, nous adresserent 
leur amical Tenakoe (te voila), tandis que, demi-nus, 
les enfants aux yeux noirs regardaient avec eton- 
nement et ne paraissaient pas comprendre ce que vou- 
laient ces deux hommes, un marteau a. la main. Les 
cultures voisines des huttes se composaient de pommes 
de terre, de choux et autres legumes. Entretenues avec 
assez de soin, elles etaient entourees d'un mur de 
quatre pieds forme de grands blocs de lave superposes, 



et sur lequel de jolies plantes grimpantes entrelacaient 
leur epais et frais feuillage. 

Apres avoir examine le cratere de Takapuna, qui 
etait le but de notre excursion, nous vimes, en retour- 
nant a, nos tentes, un feu clair qui brulait derriere une 
i hutte construite en blocs de lave. Une bouilloire a. the 
etait suspendue au-dessus des flammes, et nos maoris 
etaient occupes a ramasser des huitres qui se trou- 
vaient en abondance sur les rocs du rivage. Dans la 
tente, en menagere attentive, la femme de notre ami 
avait prepare un excellent diner auquel nous apportions 
le meilleur appetit. G'est en vain cependant que je 
m'attendais a. y trouver aussi des huitres ; comme j'ai 
un faible tout particulier pour ces mollusques, je 
me dirigeai vers les indigenes pour voir de quoi il 
s'agissait. Je les trouvai frappant avec une pierre sur 
les huitres qu'ils avaient fait griller et dont ils sa- 
vouraient ensuite le contenu. Trois grandes pierres, 
chargees des plus belles huitres, etaient encore sur 
les charbons ; les indigenes, me les indiquant du doigt, 
me dirent : Kapai (tres-bon), et ils les pousserent de- 
vant moi quand les coquillages eurent subi le degre de 
cuisson convenable. Naturellement, je ne me fis pas 
beaucoup prier; les huitres ainsi roties sur des char- 
bons ne sont pas en effet un mets a dedaigner. Les 
ecailles se laissaient facilement detacher, et les chairs, 
cuites dans leur jus, avaient un gout excellent. Quand 
j'eus debarrasse de la maniere la plus consciencieuse 
la pierre qui me servait d'assiette, je dis a. mon tour 
kapai, et j'allairetrouver la patisserie de notre aimable 
hdtesse qui ne put reprimer un malin sourire en appre- 
nantmes peregrinations gastronomiques. 

Quand la table fut enlevee, nous nous mimes en route 
pour gravir la colline du Pavilion oumont Victoria. G'est 
le point le plus eleve du North-Shore. Dans les temps 
primitifs, le sommet du mont portait un pah de guerre, 
et des fortifications de ce pah s'echelonnent sur la pente 
des terrasses de dix a. quinze pieds; sur le cdte nord 
de la colline, se trouve un fosse de vingt pieds de large 
et d'une egale profondeur. La cime forme un plateau et 
presente un cratere demi-circulaire ouvert au sud-est, 
et sur lequel des courants de lave, formant une zone 
pierreuse, ont coule jusqu'a la mer. La vue dont on 
jouit du sommet est vraiment ravissante : on apercoit 
tout le port de Waitemata, et au loin le golfe Hauraki 
avec ses iles et ses caps, et la mer animee par des 
voiles de toutes formes et de toutes tailles. Derriere la 
montagne est paisiblement assis un grand village maori 
appartenant a. une tribu qui a emigre" de la baie des 
Iles, et qui depuis des annees paye volontairement a 
l'Etat une livre sterling par arpent pour tirer du sol fer- 
tile le mais, le froment, les pommes de terre et les le- 
gumes destines au marche voisin d' Auckland. Grace a 
leur activite , ces braves gens sont arrives a un certain 
bien-etre. Sur le rivage on voyait leurs embarcations, 
parmi lesquelles plusieurs canots de guerre decores a 
l'avant et a. l'arriere de riches sculptures ; il s'y trou- 
vait aussi plusieurs bateaux baleiniers. 



280 



LE TOUR DU MONDE. 



La soiree nous trouva assis dans nos tentes et devi- 
sant entre nous. Le murmure de la mer nous bercait 
doucement, comme pour nous inviter au sommeil; mais 
bien que nous fussions pourvus de couve'rtures de laine, 
nous etions loin d'avoir toutes nos aises. Un vent vio- 
lent s'etait eleve, et notre tente vacillait a, droite et a 
gauche; un moment elle pirut sur le point de se ren- 
verser. Gombien il nous eut ete facile de nous rendre 
en une heure a. Auckland, dont nous apercevions leslu- 



mieres, et de revenir ici le lendemain matin pour con- 
tinuer nos excursions ! Mais notre ami nous avait comae's 
a sa villegiature et nous etions obliges d'en savourer 
toutes les joies. 

Ill 

L'isthme d' Auckland. — Volcans. — Indigenes. 

L'isthme d'Auckland est une des contrees les plus vol- 
caniques de la terre. II doit sa physionomie particuliere 




Ma'utaera, chef zelandais des environs d'Auckland. — Dessin de fimile Bayard d'apres M. F. de Hochstetter. 



a un grand nombre de cones eteints, ayant des crateres 
plus ou moins bien conserves, des courants de lave qui 
forment de vastes champs pierreux etendus a leurs 
pieds, ou des crateres de tuf qui entourent circulaire- 
ment comma un mur artificiel les cones d'eruption for- 
mes de cendres et de scories. Ces cones sont repandus 
irregulierement sur l'isthme et sur les rivages voisins 
des ports de Waitemata et de Maunukau. La puissance 



voicanique paralt s'etre fraye un nouveau passage pres- 
que a, chaque eruption; elle s'est ainsi eparpillee en 
un grand nombre de petites issues, tandis que si elle 
s'etait maintenue dans le meme canal, elle aurait peut- 
£tre forme un grand cone. 

Les premieres eruptions ont ete probablement sous- 
marines, dans une baie peu profonde, marecageuse et 
peu agitee par le vent. Elles se composaient de masses 




Balanjoire des guerriers n£o-zelandais. — Dessin de fimile Bayard d'apres sir Georges Grey, 



282 



LE TOUR DU MONDE. 



ignees, de detritus de lave, de scories et de cendres 
volcaniques. Elles se sont produites, sans aucun doute, 
dans un grand nombre de secousses, se suivant rapide- 
ment l'une l'autre, car, tout ce que Ton voit clairement, 
c'estqueces masses eruptives se sont deposees par cou- 
ches etagees l'une sur l'autre, tout autour du point d'e- 
ruption, et qu' elles ont forme de faibles collines, s'e- 
levant avecune surface unie, et ay ant toutes un cratere 
plus ou moins arrondi au milieu. On nomme tuf volca- 
nique la masse heterogene de ces premieres eruptions, 
et Ton designe ces collines sous le nom de cones de tuf, 
tant qu' elles ne renfernvnt pas de bassins arrondis ; 
dans ce dernier cas , on les appelle crateres de tuf. 

De nombreux specimens de ces deux formes volcani- 
ques existent surl'isthme d' Auckland. Tant6t ces crateres 
sont tres-profonds et remplis d'eau, comme le lac d'eau 
douce de Pupaki, qui a une profondeur de vingt-huit 
brasses, tant6t ils sont unis et sees, ou couverts seule- 
ment de marais et de tourbieres. Quand ils en sont fort 
rapproches, la mer s'est habituellement fraye un pas- 
sage sur un des cotes, en brisant la ligne de circonval- 
lation, et elle accomplit dans le cratere son mouvement 
de flux et de reflux. Dans le cas ou plusieurs de ces 
c6nes sont groupes ensemble , comme a Onchunga ou 
dans les environs d'Otahuhu , il est souvent difficile de 
distinguer les crateres isoles, car un espace oil confluent 
plusieurs c6nes prend facilement la forme d'un seul 
cratere. 

Le r61e que, a raison de leur sol extremement fertile, 
ces cones de tuf jouent dans le voisinage d' Auckland est 
tres-remarquable. Presque sur chacun d'eux se trouve 
]a maison ou la metairie d'un cultivateur. Le coup d'oeil 
pratique des colons les a engages a se fixer le long de 
ces crateres au sol fertile. On y voit des prairies et des 
■ champs de trefles de la plus belle verdure, tandis que le 
sol sterile des roches primitives ne produit que des 
buissons de fougere et de manuka. Les environs d'On- 
chunga et d'Otahuhu doivent a ces cones de tuf leur fer- 
tility remarquable. 

En meme temps que Taction volcanique par laquelle 
les cdnes de tuf ont e'te formes, une elevation lente et 
successive de l'isthme entier parait avoir eu lieu, en 
sorte que les eruptions posterieures se sont produites 
au-dessus de la mer. Dans cette seconde periode, Taction 
volcanique est parvenue jusqu'a Teruption de masses 
de scories incandescentes, de laves liquefiees par le feu, 
et qui, en se condensant, ont pris la forme caracteris- 
tique de poires ou de citrons, et sont retombees a. terre 
comme des bombes volcaniques; etplus tard enfin cette 
action a produit des courants de lave qui se sont repandus ■ 
au loin en fleuve incandescent. Alors les volcans d'Auck- i 
land etaient des montagnes vomissant du feu , dans le | 
senslitteral du mot; alors se sont formes leurs c6nes de ! 
scories s'elevant a. pic, et aux endroits oil des jets de j 
lave frequemment repetds s'epanchaient du meme cra- 
tere , se sont eleve's aussi des cdnes de lave comme le 
Rangitoto. 

Les cones de scories, bien qu'ils ne soient pas pro- 



pres a, la culture , n'en ont pas moins d'importance au 
point de vue pratique ; ils procurent une excellente ma- 
tiere pour macadamiser les routes , et e'est a. ce maca- 
dam de scories que Tithsme d' Auckland est redevable 
de ses belles voies. 

Un systeme volcanique complet se compose done de 
trois parties : d'un cone de tuf s'elevant en plateau et 
formant comme la base etle piedestal de toutl'ensemble; 
d'un c6ne de lave plus escarpe qui est la masse princi- 
pale de la montagne, et enfin d'un cone de cendres et de 
scories qui, avec le cratere, forme le pic du volcan, 
comme on le voit sur la gravure de la page 277. 

Aujourd'hui, grace aux embellissements que les 
colons europeens ont repandus sur les terres volcani- 
ques, converties en veritables jardins, ces montagnes 
rappellent moins des phenomenes geologiques depuis 
longtemps evanouis que Thistoire d'une population 
digne d'interet a tant de titres. Les sommets de ces co- 
nes presentent des points devue ravissants, d'ou le 
regard embrasse Tithsme tout entier d'une mer a. l'au- 
tre, et je ne puis me defendre de considerer un moment 
encore le tableau qui se presente a. mon souvenir. 

Presque toutes les traces de Tetat inculte primitif 
ont disparu sur Tithsme. L'ancienne vegetation a fait 
place en grande partie a la culture de plantes europeen- 
nes, et les mauvaises herbes qui les accompagnent tou- 
jours, se melent aux restes de la flore indigene. Entre 
les ports de Waitemata et de Manukau, de belles routes 
coupent le sol dans toutes les directions. Des maisons 
de campagne et des metairies sont repandues entre les 
villes d Auckland et d'Onchunga, des murs noirs de 
basalte et de vertes haies d'ulex separent entre elles les 
proprietes, et Ton voit se deployer des prairies, des jar- 
dins et des champs, partout oil la nature du terrain Ta 
rendu possible. Les bestiaux paissent dans les campa- 
gnes, les omnibus circulent sur les routes ; ici la fa- 
mille d'un fermier s'avance dans un char a bancs, la, 
passent au galop de rapides coursiers, des amazones et 
des cavaliers ; tout presente Timage d'une vie heureuse 
et pleine d' animation comme dans les contrees benies 
du ciel de notre patrie. 

Les lacs de forme ronde enfermes dans les anciens 
crateres etincellent comme des miroirs encadres dans le 
sol ; la mer penetre dans la terre par des baies et des 
bras innombrables, comme si le sol et Teau n'avaient 
pas encore trouve des limites determinees. Au nord, le 
Rangitoto s'eleve majestueusement au milieu du Wai- 
temata, et en face de lui, le c6ne de scories du rivage 
septentrional. Des navires a. voiles entrent et sortent 
par la passe, et des canots joutent entre eux dans le 
port. Du cote oppose, oil derriere trois grands pics ai- 
gus, la c6te occidentale s'ouvre pour donner acces a 
l'Ocean dans le vaste bassin du port de Manukau, on 
voit monter la longue colonne de fume'e du bateau a 
vapeur qui portera nos lettres et nos souhaits a. nos 
amis d'Europe. A la vue de toutes ces choses, comment 
croire que Ton est dans la Nouvelle-Zelande ? 

G'est seulement a Thorizon, vers Touest et le sud, sur 



VOYAGE A LA NOUVELLE-ZELANDE. 



283 



de hautes chaines de montagnes oil s'etendent des om- 
bres epaisses que Ton retrouve les forets inaccessibles ; 
mais la fumee qui s'eleve prouve que la aussi il y a 
deja des hommes ; ce sont les premiers colons qui 
frayent le chemin aux races a venir. Au milieu de la 
foret on voit une petite maison de bois, pauvre abri d'une 
famille qui a franchi sur l'Ocean bien des milliers de 
milles, pour se fonder une nouvelle patrie aux antipodes 
de l'ancienne. Lc pere est dans la foret, un tronc apres 
un autre tombe sous les coups de son bras vigoureux ; la 
la mere prepare le repas du soir au foyer qui petille 
joyeusement ; devant la porte jouent des enfants, au 
milieu des chiens et des poules. G'est une rude exis- 
tence que celle de ces pauvres pionniers ; ils menent 
une vie pleine de fatigues et de privations ; ils n'ont 
pres d'eux ni medecins, ni eglises, ni amis avec les- 
quels ils puissent s'entretenir de l'ancienne patrie. Mais 
aussi loin que leur vue peut s'etendre, tout autour d'eux 
leur appartient, et d'ann^e en anrn^e, leur sort s'ame- 
liore ; la recolte succede a la recolte, et a la place de la 
cabane s'eleve une gracieuse villa, entouree de jardins 
et de champs ; sur les prairies paissent de gras trou- 
peaux ; dans le voisinage s'etablissent des amis, et de 
jolies routes conduisent de ferme en ferme au milieu 
des haies et des bois. Sur le chemin se dressent une 
eglise, une auberge, et bientot s'ouvre la premiere bou- 
tique ; oil tout a l'heure il n'y avait qu'une cabane, il y 
a maintenant une localite, on ne peut pas l'appeler vil- 
lage, ville encore moins, mais c'est un fragment de bourg. 
Ge sont des citadins avec les besoins, les modes de la 
ville, qui l'habitent; ils ont une poste et des gazettes, 
des chevaux et des voitures, et leur existence est aussi 
large que, dans leur ancienne patrie, celle des comtes 
et des barons. Ainsi, sur le soir de la vie, les laborieux 
pionniers jouissent pleinement des douceurs de l'exis- 
tence ; leurs enfants s'etablissent dans la foret, le pere 
et la mere leur ont donne l'exemple, et une nouvelle 
race puissante prend sans relache possession du pays 
oil autrefois des hommes d'une autre couleur, des sau- 
vages suivaient aussi les mceurs et les usages de leurs 
peres. 

Gombien different est le sort de ces indigenes? Ils 
avaient aussi emigre d'iles lointaines pour jouir dans un 
nouveau pays d'une meilleure existence. Ils ont peut- 
£tre aussi trouve dans ces lieux, pendant une longue 
suite de generations, ce qu'ils esperaient. Mais leur 
temps est passe, et leur genre de vie disparait au souf- 
fle de la civilisation moderne. 

L'ithsme d' Auckland &ait autrefois la residence d'une 
puissante tribu de Maoris, le theatre d'occupations pa- 
cifiques, la forteresse et l'arene d'une nation barbare , 
et pourtant bien douee, mais aussi le theatre des luttes 
sanglantes de cannibales danslesquelles cette race a dis- 
paru de la terre. Les Ngatitvatuas, qui habitaient ici, 
comptaient, il y a peu de generations, de vingt a trente 
mille ames, et ces cones eteints jouaient alors le role 
de forteresses, comme les chateaux forts du moyen age 
allemand. Avec leur situation dominante, et leurs vues 



etendues, ces lieux etaient parfaitement appropri^s a 
cette destination, et ils servaient de repaires a des chefs 
oppresseurs et violents 

Les sommets portaient des pahs retranches; c'est-a- 
dire les places d'armes, villages fortifies des chefs, et a 
la base des collines s'etendaient les demeures des serfs 
avec les champs qu'ils devaient oultiver. On voit encore 
aujourd'hui les ruines de ces habitations au pied des 
hauteurs. 

Les revers des montagnes sont, en quelque sorte, ta- 
toues, comme les visages des anciens guerriers qui 
ont survecu au cannibalisme. Ils sont terrasses, c'est- 
a-dire qu' autour des pentes sont superposes des etages 
de dix a. quinze pieds de haut, que Ton apercoit a. une 
grande distance. Sur ces terrasses, on elevait un dou- 
ble rang de palissades, et Ton creusait des fosses pro- 
fonds, recouverts de branches de roseaux et de fouge- 
res, comme les pieges a loup, pour y faire tomber les 
assaillants. On s'etonne a. bon droit de l'habilete avec 
laquelle les Maoris construisaient leurs fortifications, 
et les travaux gigantesques qu'ils executaient avec les 
instruments les plus elementaires et les plus defectueux, 
avec des pelles de bois, des marteaux, des ciseaux et 
des haches de pierre, et des couteaux en coquillage. 
Derriere ces palissades et ces fosses, sur le sommet de 
la montagne, habitait le chef avec sa famille et les no- 
bles de la tribu. 

La, pendant que les vieillards accroupis en cercle sous 
leurs manteaux de phormium s'entretenaient de leurs 
exploits ou des legendes de leurs a'ieux, la jeunesse du 
clan se livrait a de nombreux jeux et passe-temps. Les 
jeunes filles repetaient en chceur des chants apportes par 
leurs peres de la terre d'Hava'i-ki, leur premiere patrie ; 
les enfants faisaient Hotter dans les airs des cerfs-volants 
formes de legers roseaux, et pendant que des adolescents 
plongeaient dans les flots du haut d'un cap eleve en 
chantant qnelque refrain my thologique , d'autres plus 
vigoureux, ayant deja marche" sur le sentier de la guerre, 
se livraient a un delassement encore plus dangereux, en 
se balancant, soutenus par la seule force du poignet , a 
l'extremite de cordages attaches au sommet d'un grand 
mat ordinairement plante sur quelque precipice. 

Aujourd'hui chants et jeux ont cesse; les fortifi- 
cations sont rasees et les huttes sont detruites , les pa- 
lissades ont disparu sans retour, le donjon maori 
est en ruines, et de meme que le cratere semble etre la 
cicatrice du combat de la terre embrasee, les terrasses 
avec leurs fosses profonds, sont les cicatrices qui rap- 
pellent les combats sanglants des peuplades indigenes. 

D'une race autrefois si nombreuse et si puissante, il 
reste a. peine quelques families qui habitent un petit 
village sur la baie d'Orakei, a Test d'Auckland. Les 
grottes de lave des Trois-Rois, du mont Smart et du 
mont Wellington sont remplies des ossements des infor- 
tunes qui ont trouve la mort dans les attaques meur- 
trieres que le terrible Hongi, a la tete des guerriers du 
nord de l'ile , a dirigees contre les tribus de la riviere 
Tamise. Sur le mont Hobson, j'ai trouve encore dans 



284 



LE TOUR DU MONDE. 



une pauvre hutte et a, moitie sous terre, une vieille 
femme maori devenu folle , bannie d'apres la coutume 
superstitieuse des siens , pour mourir solitaire en ces 
lieux ou ont succombe tant de milliers d'6tres de sa race. 

IV 

Les forets de Kauris. 

Le pilote du Manukau, le capitaine Wing m'avait 
offert, pour parcourir le bassin du port, son excellent 
canot, construit a Finstar de baleinieres ; il voulait lui- 
meme nous servir de guide, et plusieurs amis avaient 
consenti a m'accompagner. Nous nous embarquames a 
la jetee d'Onchunga, le 18 Janvier. Cinq indigenes te- 
naient les rames , le capitaine Wing etait au gouvernail, 
nous longeames la cote nord, nous descendimes dans 
une petite baie, sur la presqu'ile de Puponga, et nous 
nous etendimes pour diner a l'ombre d'un magnifique 
polulukaua (metrosideros tomenlosa) , dont le tronc me- 
suraitvingt-quatrepieds de circonference . Dans Farriere- 
plan de la baie s'elevaient des massifs de rochers aigus, 
d'un aspect fort remarquable. Ge sont d'enormes blocs 
de pierres volcaniques tres-variees, tantot en trachyte, 
tant&t en basalte, anguleux et de toutes couleurs, rouges, 
verts , bruns et noirs ; ils forment le commencement de 
ces masses puissantes de detritus volcaniques qui, dans 
une epaisseur de plus de mille pieds composent toute 
la chaine de Titirangi, et depuis la cote nord du port de 
Manukau jusqu'au port de Kaipara torment Fescarpe- 
ment de la cote occidentale. 

Le soir nous etablimes notre tente dans la baie Huia, 
surle sable sec du rivage. La nuit fut sans sommeil, car 
le soir, attires par la lumiere, des nuees de moustiques 
pene"trerent jusqu'a nous, et nous firent cruellement 
souffrir. Nous saluames le jour avec joie, l'air frais du 
matin, l'eau pure d'une source, et une tasse de bon cafe 
nous rendirent des forces, et nous continuames notre 
chemin pour visiter les etablissements situes dans le 
fond de la baie. 

Je fus emerveille du caractere romantique qu'avait en 
ce moment le paysage ; une nature sauvage et abrupte, 
avec d'epaisses forets, des pics aigus, des pans de rocs 
escarpes, des ravins tenebreux traverses par des ruis- 
seaux et des rivieres ou coule l'eau la plus limpide. De 
hardis colons ont choisi cette contree pittoresque pour y 
etablir des scieries , exploitant les forets qui produisent 
en abondance le gigantesque pin Kauri (dammara au- 
stralis) , dont le bois est excellent; les ruisseaux et les 
rivieres portent aux usines leur force hydraulique , et 
servent en meme temps au flottage du bois. 

G'est avec raison que Ton nomme le sapin Kauri le 
roi des forets de la Nouvelle-Zelande. Ge qu'etait pour 
l'Asie Mineure le renomme cedre du Liban qui four- 
nissait autrefois la membrure des vaisseaux pheniciens 
et la charpente du temple de Salomon, ce qu'est aujour- 
d'bui pour la Californie le gigantesque sequoia mam- 
mouth, le pin Kauri Test pour la Nouvelle-Zelande. 

Depuis l'origine de la colonisation, les forets de Kau- 
ris sont une source de richesse pour les emigrants euro- 



pe"ens. Elles fournissent les espars et les mats les meil- 
leurs, un excellent bois de construction; etla.resine du 
Kauri est un article de commerce tres-recherche. Parmi 
les produits indigenes de la Nouvelle-Zelande, il n'en 
est point dont l'exportation soit plus considerable. 

Deux conditions principales paraissent etre indispen- 
sables a la vie de l'arbre : Fair humide de la mer et un 
terrain argileux et sec. Elles se trouvent parfaitement 
re"unies sur la petite peninsule septentrionale. 

Le Kauri ne croit pas isole ; et pousse par groupes et 
a, des endroits proteges du vent. Ges groupes donnent 
a la foret sa physionomie caracteristique. Quand d'une 
colline ou d'une montagne on apergoit une foret, on re- 
connait a leur teinte d'un vert fonce , les groupes de 
Kauris. Leurs couronnes dominent au loin les autres 
arbres et forment des ombres epaisses sur les pentes 
des montagnes et dans les vallees. Ca, et la se ddtachent 
sur ce fond le vert tendre des fougeres arborescentes , 
qui poussent avec vigueur aux endroits oil jaillissent les 
sources. 

Ges groupes de Kauris ont une etendue tres-variable ; 
souvent ils occupent plusieurs milles carres, souvent ils 
ne se composent que de trente a quarante arbres qui , 
se trouvant ainsi en socie'te', et se protegeant les uns les 
autres, reussissent admirablement. Mais si Fon abat 
la foret, et si on ne laisse debout que quelques arbres , 
ils ne tardent pas a mourir. Vainement les colons ont 
cherche dans les larges espaces qu'ils conquierent sur 
la foret pour Fagriculture et l'eleve des bestiaux, a. 
conserver quelques beaux arbres pour la decoration du 
paysage et Fornement de leurs fermes, le fils de la foret 
humide et ombreuse languit aussitot qu'il est expose" au 
vent et au soleil, et les tentatives que Part a faites jus- 
qu'a present pour le planter et le cultiver, n'ont pas 
reussi davantage. 

Cette particularite du pin Kauri de ne croitre qu'en 
groupes et en societe fait aussi que les arbres d'un 
mgme groupe ou d'une partie de foret sont habituelle- 
ment du meme age. II y a done des bouquets de sapins 
de deux cents, quatre cents et cinq cents annees, et 
l'impression grandiose que produit une foret Kauri tient 
essentiellement a. ce qu'elle est formee comme d'un seul 
jet, qu'une colonne vegetale s'eleve a cote d'une autre 
de mgme epaisseur et de meme hauteur, ainsi que les 
portiques d'un palais. Dans ces massifs, le Kauri ne 
souffre a cote de lui aucun autre grand arbre ; peu d'ar- 
bustes meme croissent sous son ombrage. 

Les jeunes sapins ont un aspect tout different de celui 
des anciens; ils ressemblent davantage a. nos sapins 
rouges ; dans la vieillesse , ils rappellent le sapin blanc. 
Les sujets de soixante a cent ans portent une couronne 
en cone aigu ; le tronc s'elance perpendiculairement de 
la racine au sommet. En avangant en age, les branches 
laterales se fortifient et produisent, par des bifurcations 
multipliees , une couronne en forme de tente. Mais le 
tronc, parfaitement cylindrique, dresse sous le d6me de 
verdure sa majestueuse colonne, dont les belles pro- 
portions ne sont pas alterees, comme dans les autres 







Foret de Kauris. — Dessin de Lancelot d'apres M. F. de Hocbstetter. 



LE TOUR DU MONDE. 



arbres, par les branches laterales ou les plantes para- 
sites. L'ceil peut suivre sans obstacle les lignes pures du 
tronc depuis le has jusqu'en haut, a l'endroit oil les 
branches vigoureuses forment, en s'entrelacant , une 
epaisse voute d'un vert sombre , a, travers laquelle la 
lumiere du soleil rayonne comme des etoiles d'or dans 
le demi-jour de laforet. Dans les troncs de quatre pieds 
de diametre 1'ecorce a un pouce et demi d'epaisseur, 
et elle se detache comme celle de nos pins. L'epoque de 
la floraison arrive en decembre; les cdnes sont relati- 
vement tres-petits ; leurs dimensions n'atteignent mfime 
pas celles de nos sapins, et ils se separent facilement 
quand ils sont sees. A l'epoque de leur maturite, a la 
fin de fevrier, les forets de Kauris sont visitees par 
un grand nombre d'oiseaux qui mangent les graines. 

Les arbres les plus ag^s et les plus gros atteignent 
un diametre de cinq metres et une circonfe"rence de 
quinze ; ils ont une hauteur de trente-trois metres jus- 
qu'aux branches les plus inferieures, et de cinquante 
a soixante jusqu'a la cime. Ges arbres peuvent vivre 
sept a huit siecles. J'ai cite leur refine comme un article 
de commerce deja fort recherche. Quand elle exsude de 
l'arbre, elle est d'un blanc laiteux tirant sur l'opale ; avec 
le temps, elle se solidifie, devient plus ou moins trans- 
parente, et prend habituellement une belle teinte jaune 
d'ambre. Les branches et les rameaux des sapins etin- 
cellent des blanches gouttes de resine, mais e'est sur- 
tout dans la partie inferieure du tronc, au col de la 
racine que Ton en recueille les quantites les plus con- 
siderables. Aussi est-ce dans les couches superieures du 
terrain oil s'etendaient autrefois des forets de Kauri, 
qu'on trouve la resine en grande abondance. II n'est pas 
rare d'en rencontrer des morceaux qui pesent plus de 
cent livres. 

L'exploitation de ces arbres a change, sur beaucoup 
de points, Faspect du pays. Dans les baies et dans 
les criques ecartees, qui n'etaient jadis visitees que par 
les canots du sauvage, circulent aujourd'hui des em- 
barcations de toutes sortes. De grandes scieries, con- 
struites d'apres les meilleurs precedes , s'elevent sur les 
bords de ces baies et de ces criques. Dans les sombres 
forets, dans les ravins, sur la montagne et dans la vallee 
oil regnait jadis un silence de mort, on entend crier la 
scie et resonner la hache. Des hommes dont les nerfs 
et les muscles ont recu une trempe vigoureuse dans les 
forets de la Galifornie et du Canada, des Ecossais et des 
Irlandais, et ca et la aussi un pauvre Allemand, pour- 
suivi par les rigueurs du sort, tels sont les combattants 
qui se mesurent avec le geant de la foret. Le soir, on 
voit s'elever joyeusement au-dessus de leur foyer des 
colonnes de fumee, et mainte histoire terrible se ra- 
conte, quand, a l'heure du repos, la pipe est allumee et 
que le verre de gin passe de main en main. 



Voyage au Wa'ikato. 

Mon voyage dans l'interieur de Tile du nord n'est, 
si on le considere par rapport a la longueur du chemin 



parcouru (environ 700 milles anglais ou 140 milles alle- 
mands), qu'une courte excursion; et cependant, quand 
je fus heureusement revenu a Auckland, il me semblait 
que le voyage etait incomparablement plus grand, et 
qu'il l'emportait meme en difficultes sur celui que j'avais 
accompli dans les cinq parties du monde, en traversant 
28 000 milles marins : la difference depend uniquement 
de la maniere et des conditions dans lesquelles le voyage 
s'execute. 

Dans les pays europeens, ou des chemins de fer, des 
bateaux a. vapeur et d'excellents h6tels sont a la disposi- 
tion du voyageur, ou des guides l'informent de tout, ou 
detours et sentiers conduisent partout, et oil Ton se pro- 
cure tout avec de l'argent, chacun peut, d'apres ses res- 
sources et le but qu'il se propose, voyager comme il lui 
convient ; mais dans la Nouvelle-Zelande, il n'est ques- 
tion de rien de tout cela : les routes sur lesquelles on 
peut circuler conduisent, jusqu'a present, a quelques 
milles seulement des villes situees pres de la cote; de 
plus, il ne faut pas songer a se servir du cheval, au 
moins pour les longs voyages. Dans beaucoup de con- 
trees, non-seulement on manquerait du fourrage neces- 
saire, mais les difficultes du terrain sont telles, que loin 
de lui etre utile, l'animal serait plutdt un embarras pour 
le voyageur. Presque tous les jours, il faut traverser de 
rapides ruisseaux, des montagnes, des rivieres aux bords 
escarpes, des fondrieres et des marais. Les petits sen- 
tiers des indigenes conduisent rarement dans les valle'es, 
et presque toujours sur les sommets des montagnes. 
Quand ils traversent les interminables forets qui cou- 
vrent encore l'interieur du pays, ils sont tellement 
etroits qu'un homme a de la peine a s'y frayer un pas- 
sage. Un ceil habitue aux chemins des forets et des mon- 
tagnes d'Europe peut a peine reconnaitre ces sentiers 
maoris ; cheval et cavalier y courraient le danger con- 
tinuel de tomber dans les trous profonds que laissent 
entre elles les racines des arbres, et d'etre etouffes dans 
les anneaux de la liane qui porte le nom de supple-jacks. 
II ne reste done d'autre moyen que de voyager a pied, et 
il faut une vigueurinepuisable, une sante" atoute dpreuve, 
pour resister aux fatigues inseparables de longues excur- 
sions a travers des contrees sauvages, par des chemins 
mal frayes, au milieu de forets humides, de marecages et 
des eaux glacees des montagnes. Tout ce dont le voya- 
geur a besoin, il doit le porter avec lui, et, par cela 
meme, se borner au necessaire. II se peut bien que, ca. 
et la, chez un colon isole ou sous le toit hospitalier du 
missionnaire, il jouisse en passant du comfort et des su- 
perfluites de la vie civilisee, mais, en general, il faut 
qu'il y renonce et mette son plaisir a. vivre a l'air libre, 
avec le ciel pour tente et la terre pour table, a revenir 
enfin aux moeurs primitives et aux simples besoins de 
l'homme de la nature. Mais e'est en cela meme que se 
trouvent l'originalite et le charme indescriptible d'un 
voyage dans la Nouvelle-Zelande. 

Les indigenes, du reste, sont les meilleurs compa- 
gnons de voyage que Ton puisse rencontrer. J'avais 
engage comme porteurs, pour toute la duree de nos 



VOYAG-E A LA NOUVELLE-ZELANDE. 



287 



excursions, douze jeunes et vigoureux Maoris, a. raison 
de deux schellings et demi par jour et par personne. 

Quant a. la securite, je ne connais pas de pays sau- 
vage oil Ton coure moins de dangers; les voleurs et 
les brigands y sont aussi peu connus que les betes fe- 
roces et les serpents venimeux; etcomme la nature, qui 
n'a ici produit aucune plante veneneuse, aucun animal 
dangereux, se montre bienfaisante dans toutes ses crea- 
tions, l'indigene est aussi toujours bienveillant, quand 
la guerre ni la vengeance ne dechainent pas ses passions 
sauvages. 

Les seuls fleaux a, redouter sont les moustiques et les 
mouches de sable ; les premiers, que les naturels nom- 
ment Waeroa, ne sont autre chose que nos cousins 
(culex) qui fourmillent dans les forets, mais qui evitent 
les c6tes de la mer et les landes arides des fougeres. 
Dans les mois d'ete, de decembre a fevrier, on ne peut 
s'en preserver ni jour ni nuit, mais en mars, ils devien- 
nent plus rares, et disparaissent completement en hiver. 
Les mouches de sable, au contraire, ngamu des indige- 
nes, se trouvent en plus grand nombre sur les c6tes de 
la mer, mais on en voit aussi dans l'interieur du pays, 
sur les rives sablonneuses des fleuves et dans les lan- 
des. Juste au moment oil Ton est delivre des mousti- 
ques, vient le tour des mouches de sable, dont la piqure 
est plus sensible, mais ne cause aucun gonflement. Comme 
ces insectes disparaissent avec les derniers rayons du 
soleil, la nuit au moins serait tranquille, si on n'avait 
pas alors a recevoir la visite de nouveaux hfites fort peu 
agreables; ce sont les rats que Ton rencontre meme dans 
les lieux completement inhabites, et qui se rassemblent 
en foule autour du campement. On s'habitue bientot a. 
les sentir courir sur son corps et sur sa tfite, mais il 
faut avoir grand soin de suspendre a. des batons les pro- 
visions de bouche, pour les mettre a. l'abri de leur vo- 
racite. 

Si dans ces lies la nature est peu liberale pour l'ali- 
mentation, par contre elle offre pour le bien-etre du 
voyageur deux choses que Ton apprend a, apprecier a. un 
haut degre, quand apres une excursion dans la Nou- 
velle-Zelande, on voyage dans un autre pays qui en est 
depourvu. C'est d'abord la fougere, pteris esculenta, qui 
est repandue partout, et qui sert de couche pour le repos 
de la nuit. Preparee convenablement, elle est aussi elas- 
tique et aussi douce que le meilleur lit de plumes. En- 
suite vient le lin du pays, le phormium teuax, qui peut 
remplacer dans tous leurs usages les iicelles, les cordes 
et les courroies. Quand il faut Her chaque jour une dou- 
zaine de paquets, cette plante, que Ton a toujours sous 
la main, est d'un avantage inappreciable. Enfin, la dou- 
ceur du climat et l'abondance de l'eau et du bois dans 
tout le pays, facilitent singulierement le voyage. On n'a 
a souffrir ni du chaud ni du froid ; et les fievres de ma- 
recages y sont completement inconnues. 

Je ne perdrai jamais le souvenir de ces moments oil, 
apres la fatigue et le travail du jour, nous nous repo- 
sions sur le bord d'une foret, pres d'une source au doux 
murmure ; reunis autour d'un feu clair et petillant, les 



indigenes commenfaient leurs chants du soir ; puis tout 
devenait paisible jusqu'au point du jour, oil les oiseaux 
de la foret, le Kokorimoko et le Tui, faisaient entendre 
leurs chansons matinales. Quand je me retrace ces 
scenes, nos traversers sur les canots des indigenes, 
nos haltes dans les pahs, et nos excursions au milieu 
des sombres forets, inconnues dans notre hemisphere, 
j'eprouve un profond sentiment de joie, tant les jouis- 
sances que nous donne la nature l'emportent sur toutes 
celles de la vie civilisee. 

Nous nous mimes en route le 7 mars en suivant la 
Great south road et nous arrivames le lendemain au vil- 
lage maori de Mangatawhiri, sur le fleuve Waikato, que 
nous devions remonter au moyen d'un canot. Pour at- 
teindre ce beau cours d'eau , on monte d'abord sur un 
plateau boise qui le separe du havre Manukau du Wai- 
kato. Pres de petits ruisseaux qui traversent ce plateau, 
on rencontre les dernieres metairies, puis, on penetre 
de plus en plus dans la nature sauvage. Des dernieres 
hauteurs qui precedent Mangatawhiri, on a un coup 
d'ceil ravissant sur le Waikato. La route avait ete tout 
recemment percee, et les arbres qui venaient d'etre 
abattus etaient encore couches en travers sur le chemin ; 
nous sourimes de bon cceur de la saillie d'un buche- 
ron qui avait charbonne sur un tronc gigantesque barrant 
tout le passage : « vingt-deux milles de Londres. » 

Le village de Mangatawhiri se compose d' environ 
vingt huttes avec une centaine d'habitants qui jouissent 
d'une certaine aisance. A l'aide d'un Anglais, ils ont 
meme fait construire, sur un petit ruisseau coulant pres 
du village, un joli moulin qui n'a pas coute moins de qua- 
tre cents livres sterling. Le sol volcanique des environs 
est extremement fertile, et il ne manque ici ni de che- 
vaux, ni de bestiaux, ni de pores. Aussi ne nous atten- 
dions-nous pas a l'horrible malproprete qui regne dans 
les huttes maories ; plusieurs etaient vides , nous vou- 
lumes en choisir une pour y passer la nuit, mais elles 
etaient pleines de vermine. Enfin nous nous resolumes 
a en occuper une, apres 1' avoir fait nettoyer avec soin. 
Toutefois, ce que nous eumes a. souffrir pendant la nuit, 
malgre le nettoyage de l'etable d'Augias, je le passerai 
sous silence. Ge fut pour moi une bonne lecon pour 
ne jamais preferer a l'avenir une hutte maorie a. ma 
tente. 

Pour feter notre presence, les femmes et les jeunes 
filles s'etaient parees de leur mieux, et avaient mis leurs 
plus belles toilettes. Dans le nombre, quelques-unes 
etaient tres-jolies de taille et de visage. Mais il regne 
parmi cette population feminine une coutume fort sin- 
guliere : les petits cochons de lait sont pres d' elles en 
grande faveur ; elles les choient et les caressent en les 
serrant sur leur sein avec autant de tendresse que nos 
dames en ont pour leurs petits chiens favoris. Je ne 
m'attendais guere a retrouver aux antipodes une manie 
de nos a'ieules du quinzieme siecle. 

A peu de distance du village maori se trouve la petite 
localite europeenne d'Havelock qui, jusqu'a. present, ne 
comprend que deux maisons. Les indigenes conside- 



288 



LE TOUR DU MONDE. 



rent cet etabhssement comme la limite meridionale ex- 
treme ou les Pakehas ont ie droit de s'avancer : « Jus- 
qu'ici et pas plus loin, » disent-ils. Us mettent une 
obstination invincible a empecher le prolongement de la 
Great south road, et pendant Finsurrection de Taranaki 
en 1861, William Thomson, le chef des tribus Waikato 
declara que , si le gouvernement faisait avancer ses 
troupes au dela de Mangatawhiri , ou s'll continuait la 
construction de la route sous la protection de la force 
armee , ce serait la un cas de guerre qui entrainerait 
l'ouverture des hostilites L'importance attaehee a la 



possession de cette place s'explique par le developpe- 
ment qu'elle pourra acquerir quand le Waikato sera 
ouvert au commerce europeen. 

Le 9 mars, au point du jour, le ruisseau de Manga- 
tawhiri nous offrit un bain rafraichissant, mais nous ne 
nous mimes en route qu'a neuf heures. Le canot avait 
ete creuse recemment dans le tronc d'un sapin kahikatea; 
long de soixante pieds anglais, large de quatre, profond 
de trois, il etait assez grand pour recevoir toute notre 
troupe (vingt-quatre personnes) avec nos nombreux ba- 
gages. Quand on l'eut nettoye et qu'on eut etendu dans 




f.OUMS £0£££, 



Confluent du Rangirite et du Waikato. 



le fond une couche de fuugere fraiche, les Maoris s'as- 
sirent a l'avant, chacun pourvu de sa rame, et dans le 
milieu les cinq Pakehas ou Europeens. Quatre femmcs 
indigenes, avec deux enfants, se pressaient derriere 
nous; elles allaient au-devant de leurs maris qu'elles 
esperaient rencontrer sur le Waikato. 

L'impression que produit la vue de ce fleuve majes- 
tueux est grandiose; je ne puis le comparer qu'au Hhin 
et au Danube; il est incontestablementle principal fleuve 
de Tile septentrionale , il l'emporte sur tous les autres 
auiant par la longueur de son cours que par le volume 
de ses eaux. La pierre ponce que le courant entraine 



continuellement et entasse sur les rives et a l'embou- 

chure , annonce qu'il a sa source dans le voisinage de 

l'important groupe volcanique du centre de Tile. Ses 

sources se trouvent dans le coeur du pays, ses eaux bai- 

gnent les champs les plus favorises et les plus beaux 

peuples paries tribus indigenes les pius nombreuses et 

les plus puissantes, auxquelles il a donne son nom. G'est 

bien la grande artere de l'ile du nord, et il ne manque 

absolument a ce grand fleuve qu'une embouchure libre 

et accessible. 

Traduit par E. JOUVEAU. 

( La suite a la prochaine livraison.)